Interview exclusive de Jean-Michel Jalinier, PDG de Renault Sport F1

Publié le par Matthieu Piccon

Renault-Sport-F1---Jean-Michel-Jalinier.jpgLors de la conférence de presse organisée par Renault Sport F1, son PDG, Jean-Michel Jalinier nous a fait l'honneur de nous ouvrir les portes de son bureau pour une interview exclusive pour BusinessF1.fr et son partenaire Fan-F1.com.

Je suis devenu président directeur général mais je m’appuie sur une équipe de trois personnes : Rob White pour la partie technique, Yves Arbeille pour la partie Business Administration et Olivier Gillet pour la partie marketing.

Jean-Michel Jalinier

Vous avez pris la direction de Renault Sport F1 il y a un peu plus d’un an. Jusqu’au Grand Prix d’Abu Dhabi 2012, Jean-François Caubet était à vos côtés en tant que directeur général. C’est vous qui avait donc repris les responsabilités qui lui incombaient, occupant les postes de président et de directeur général de Renault Sport F1. Qu’est-ce que cela a changé pour vous, dans votre agenda quotidien, et dans l’organisation de Renault Sport F1  ?

« Pendant un an, nous nous sommes répartis les rôles : j’étais président et Jean-François Caubet était directeur général. Jean-François gérait au quotidien, ce qui m’a permis d’avoir le temps d’approfondir ma connaissance du milieu de la F1, l’appréhension du milieu de la Formule 1 et des enjeux de la Formule 1. C’était donc une bonne solution pour mon arrivée en F1. Donc depuis le départ de Jean-François, j’ai réorganisé la structure de la direction générale. Je suis devenu président directeur général mais je m’appuie sur une équipe de trois personnes : Rob White pour la partie technique, Yves Arbeille pour la partie Business Administration et Olivier Gillet pour la partie marketing. Les rôles sont donc répartis de manière différente par rapport à l’époque de Jean-François : une partie des activités de Jean-François a été répartie parmi ces trois personnes là et j’ai également repris une partie du rôle mais pas 100% de ses activités. »

La France vient à son tour de basculer la télévision payante, avec des risques de perte d’audiences. Est-ce une tendance qui vous inquiète et qui a un impact sur l’exposition médiatique que vous souhaitez générer via votre investissement en F1 ?

« C’est sûr que l’audience va changer. Maintenant nous avons un nouveau partenaire qui, j’en suis sûr, a une volonté d’avoir une couverture de très haut niveau de la F1. Il va donc participer à la médiatisation et la connaissance de la F1. De plus, dans le contrat, il y a un magazine en clair. Nous comptons beaucoup sur ce magazine pour toucher un public beaucoup plus large. Alors nous allons vivre avec ça, nous allons apprendre à connaitre notre nouveau partenaire. L’équilibre va certainement être différent de l’équilibre que nous avions avec F1 mais je suis certain que nous allons trouver un très bon équilibre. »

C’est la raison pour laquelle Renault est en Formule 1. Pour avoir de la notoriété, il faut être visible. Pour démontrer l’excellence technologique, il faut gagner et pour être visible, il faut gagner pour avoir davantage de temps d’antenne. Donc pour Renault Sport F1, il n’y a plus qu’un seul objectif, c’est de gagner en piste.

Jean-Michel Jalinier

Vous dépendez directement de Carlos Ghosn, le PDG de Renault. Par rapport au conseil d’administration de Renault, Renault Sport F1 a-t-il un objectif de rentabilité financière ou est-ce avant tout un moyen de communication sur l’excellence de l’ingénierie du groupe ?

« Renault est avant en tout en F1 pour développer l’image et la notoriété de l’entreprise. La notoriété parce que la F1 est diffusée partout dans le monde. C’est 900 millions de téléspectateurs en cumulé pour les directs et deux milliards si on ajoute les rediffusions. Nous avons des clients potentiels au Nord du Brésil parce qu’ils connaissent Renault par la F1 parce que la F1 est diffusé par TV Globo partout, même dans les coins les plus reculés du Brésil. Nous avons  un objectif d’image car la F1, c’est l’excellence du sport, c’est l’excellence de la technologie. Donc si Renault est capable de se battre à ce niveau-là, Renault fait preuve de son excellence technologique et donc on développe l’image de Renault et donc on donne confiance à des clients qui pourraient hésiter entre deux marques. Ils vont donc venir chez Renault parce que Renault fait preuve de son excellence à travers la F1. Donc ça, c’est la raison pour laquelle Renault est en Formule 1. Pour avoir de la notoriété, il faut être visible. Pour démontrer l’excellence technologique, il faut gagner et pour être visible, il faut gagner pour avoir davantage de temps d’antenne. Donc pour Renault Sport F1, il n’y a plus qu’un seul objectif, c’est de gagner en piste. »

« Du point de vue rentabilité, il y a d’un côté les coûts. Ce sont les coûts que nous avons ici chez Renault Sport F1, qui sont supportés à 100% par Renault puisque nous sommes filiales à 100% de Renault. En termes de revenus, il y a le fait que nous vendions le coût de la motorisation de la saison à chacune de nos écuries. Ces revenus-là sont inférieurs aux dépenses. Il y a donc une dépense nette de la part de Renault. Le retour sur investissements sur cette dépense nette est mesuré par le retour en termes marketing, en termes de notoriété et d’image. On valorise ce retour. Pour chaque dollar investi, nous avons, selon les pays, entre trois et cinq dollars de retombées médiatiques. C’est donc un investissement très rentable quand on a un retour de trois à cinq. Par contre, pour être tout à fait juste, la partie d’investissements de Renault, c’est du cash alors que le retour en image, c’est non cash. C’est de l’image, c’est de la notoriété. »

Renault a signé en 2011 un contrat de longue durée avec Red Bull Racing, ce qui garantit la présence de cette dernière comme votre client lors du changement de réglementation de 2014…

« Oui, nous avons un accord avec Red Bull. Mais il s’agit d’un MoU (NDRL : Memo of Understanding, document légal qui n’a pas la valeur de contrat) mais nous n’avons pas un contrat signé avec Red Bull pour la fourniture d’un moteur en 2014. »

Il y a vraiment une logique que Red Bull et Toro Rosso partagent des organes mécaniques.

Jean-Michel Jalinier

Vous devez assurer une confidentialité parfaite de vos échanges avec les quatre écuries que vous fournissez. Comment gérez-vous la proximité de Red Bull Racing avec Toro Rosso, équipée d’un moteur Ferrari ? Une arrivée de Toro Rosso dans le giron de Renault est-il envisageable avec le changement de réglementation en 2014 ?

« Il y a vraiment une logique que Red Bull et Toro Rosso partagent des organes mécaniques. Afin de partager ces organes mécaniques ou assurer des synergies, dans ce qu’autorise le règlement sportif de la FIA, il n’y a un intérêt et ça ne peut être fait que si le moteur est le même. Donc oui, il y a une logique du côté de chez Red Bull à nous demander de fournir Toro Rosso. Si on garde nos quatre partenaires actuelles et que nous rajoutons Toro Rosso, nous arrivons à cinq équipes. On s’est posé la question : nous saurions monter à cinq équipes. C’est vraiment le grand maximum de ce que l’on peut faire parce que nous voulons vraiment fournir un service de qualité à l’ensemble de nos équipes. Donc on est déjà passé de trois à quatre équipes. A quatre, on sait bien faire les choses. On l’a appris avec Williams l’an dernier, ils ont gagné. Ils ont beaucoup progressé. Fort de la même règle, nous saurions passer à cinq. Au-delà de cinq, nous ne voulons pas y aller. Cela ne serait pas raisonnable. On ne veut pas avoir plus de présence sur la grille car il faut pouvoir aussi se battre contre d’autres compétiteurs. Mais si à l’avenir, on redescend à trois équipes, cela me va très bien aussi. Trois équipes, c’est très bien. C’est bien manageable et cela fait un bon équilibre. »

Carlos Ghosn doit faire une annonce demain à Tokyo sur l’avenir de Nismo Motorsport, la branche sports automobiles de Nissan. Peut-on imaginer une arrivée de Nissan en F1 ou l’Alliance compte-elle continuer à miser sur la présence de Renault en tant que motoriste et en tant que sponsor avec Infiniti chez Red Bull ?

« Aujourd’hui, on a cette logique la afin de ne pas mélanger les images, à ne pas apporter la confusion dans la tête du grand public mais rien n’est écrit dans le marbre. Donc toute opportunité, toute synergie possible doit être posée sur la table et donc rester l’esprit ouvert là-dessus. »

Aujourd’hui avec le V8, le coût d’une saison pour une équipe, c’est environ 15 millions d’euros. C’est en gros dix millions d’euros pour la partie technique et environ cinq millions d’euros pour la partie électrique et l’assistance en piste. A la place des 15, nous serons plutôt dans la tranche des 20 avec le moteur 2014.

Jean-Michel Jalinier

Passons maintenant au moteur V6 de 2014. Avec l’ensemble des nouveautés que représente ce nouveau V6 turbo, quel est l’ordre d’idée du budget de développement ?

« Le prix de la saison que nous allons vendre à nos écuries est fait de trois composants : le prix du moteur, l’amortissement du ticket d’entrée et le coût de l’assistance en piste. Cela fait le prix de la saison. Dans les tractations et négociations actuelles, c’est évidemment un élément compétitif. Donc aujourd’hui, je ne peux pas donner de détails sur aucun de ces trois composants sans lâcher une information exploitable par nos concurrents. Mais je peux donner des ordres de grandeur. Aujourd’hui avec le V8, le coût d’une saison pour une équipe, c’est environ 15 millions d’euros. C’est en gros dix millions d’euros pour la partie technique et environ cinq millions d’euros pour la partie électrique et l’assistance en piste. A la place des 15, nous serons plutôt dans la tranche des 20 avec le moteur 2014. Ça donne un ordre de grandeur. »

Comment ce moteur est-il financé ? Est-il financer sur les fonds propres de Renault Sport F1 ou est-ce que vous avez pu bénéficier d’avances de fonds de vos écuries clientes actuelles ?

« Tout est financé en direct par Renault. Nous allons ensuite amortir cet investissement initial via une tranche du prix que nous allons facturer chaque saison à nos équipes partenaires. Mais tout le financement initial est assuré par Renault. Il n’y a pas du tout eut de schéma de préfinancement par nos équipes, qui aurait pu être un très bon choix mais qui n’a pas été adopté. »

La nouvelle réglementation est fixée pour sept ans. Cela faisait partie de la volonté des constructeurs de s’engager sur une telle durée. Néanmoins, il n’y a plus la logique de gel des développements techniques comme ce que nous avons connu ces dernières saisons. Est-ce que c’était nécessaire de se donner ces sept années ?

« Sept ans, cela a été le résultat de discussions entre tout le monde, un accord que nous  avons trouvé à la FIA. C’est notre intérêt, c’est l’intérêt des équipes d’amortir ce ticket d’entrée sur une période plus longue. C’est clairement l’intérêt de la FIA afin de stabiliser le sport et les coûts dans le sport. Je pense qu’il y a vraiment un intérêt commun de tout le monde de la stabilisation de ce ticket d’entrée. 

On est sur un groupe motopropulseur qui est quand même très complexe. Il ne va pas être très bon du premier coup. Il va falloir le faire évoluer. Donc on va avoir des développements dans les premiers temps de la vie du moteur, la première année, la deuxième année. Ensuite, il faudra stabiliser. Il faut garder une petite possibilité d’évolutions car c’est ce qui permet de faire la différence entre les constructeurs et d’avoir de la compétition. Mais il faut la garder dans un domaine bien encadré et mesuré afin de maintenir les coûts globaux de la F1. »

Nous ne voulons pas un règlement technique trop ouvert. La F1 ne survivrait pas à cela et nous non plus.

Jean-Michel Jalinier

Quand on regarde ce qui se passe dans d’autres disciplines, comme le championnat du monde d’endurance, on peut voir que plusieurs technologies de moteurs s’affrontent (essence hybride chez Toyota, diesel hybride chez Audi, essence pour d’autres motoristes). Est-ce que c’est une logique que vous voudriez retrouver pour la F1 dans les années à venir ? Ou est-ce que vous préférez montrer qui est le meilleur au sein d’une même technologie ?

« Non nous ne voulons pas un règlement technique trop ouvert. Bien entendu, c’est extrêmement tentant d’en avoir un parce que nous pourrions laisser libre notre ingéniosité. Mais si on fait ça, on ouvre la porte à des coûts qui sont totalement incontrôlables. La F1 ne survivrait pas à cela et nous non plus car si les coûts augmentaient, nous ne pourrions plus nous le permettre et donc on sortirait de la F1. Donc il faut maitriser les coûts tout en étant capable de montrer sa supériorité technique et donc la possibilité d’évolutions mais qui soit bien encadrée. C’est possible de faire ça via le règlement. »

Avant l’adoption définitive de la réglementation technique 2014 avec un V6, il y a eu des discussions autour d’un quatre cylindres. Renault y était très favorable. Est-ce que c’est une piste complètement abandonnée ?

« Pour les sept ans à venir, elle est mise de côté. Dans sept ans, je ne sais pas de quoi les discussions seront faites. Nous, nous étions très intéressés par le quatre cylindres car c’est encore plus facile de faire le pont entre la F1 et la voiture de série qui est dans la rue. Bon finalement le moteur est un V6 mais pour nous l’important, c’est le 1,6L de cylindrée. Parce que 1,6L, c’est la cylindrée d’une Clio, d’une Megane, d’une Sandero qui est dans la rue. Donc le 1,6L nous permet de bien communiquer. »

Donc pour vous, le plus important, c’est la cylindrée plutôt que l’architecture même du moteur ?

« Le plus important, c’est que dans la F1, qui est ce qui se fait de mieux dans les sports automobiles, nous sommes également dans une logique de réduction de la taille des moteurs et on est surtout dans un schéma de la réduction de la consommation. Pour réduire, la consommation, on s’appuie sur des systèmes de récupération d’énergie, qui sont les systèmes du futur pour la voiture de série. »

Aujourd’hui, vous communiquez beaucoup sur les liens entre la compétition et la série. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ces passerelles ? Est-ce qu’il s’agit davantage d’échanges sur les concepts ou plutôt sur les échanges de personnel ?

« Il y a vraiment les deux aspects. Il y a une partie qui est plutôt de regarder telle pièce du moteur, tel revêtement de surface du cylindre qui vient de la F1. Et puis, il y a une autre partie qui est non tangible mais qui est extrêmement importante, qui est l’échange. L’échange d’ingénieurs qui vont venir chez Renault Sport F1, acquérir de l’expérience et repartir dans le monde de Renault et qui en même temps arrivent avec leur expertise de chez Renault. Cet échange est vraiment extrêmement important et il se fait dans les deux sens. Sur des méthodes de calcul, nous avons eu des ingénieurs qui sont arrivés avec les dernières méthodes de calcul avancées de chez Renault. Ils sont repartis avec des modélisations à l’intérieur de ces méthodes de calcul plus avancées que ce qu’il y avait ici. Voilà une synergie concrète. »

La validation technique du moteur de Twizy a été faite ici, chez Renault Sport F1. C’est un croisement direct.

Jean-Michel Jalinier

On sait que Renault a engagé une stratégie forte en direction de l’électrique, très présente dans la nouvelle réglementation. Je suppose qu’il y a eu beaucoup d’échanges sur le sujet pour acquérir de l’expertise sur le sujet.

« Oui, là, il y a un exemple très spécifique, c’est le développement de Twizy avec un petit moteur électrique. Ce petit moteur électrique est arrivé à une époque où Renault venait d’entrer dans le KERS et venait de maitriser le KERS. On est sur des petits moteurs de même type. La validation technique du moteur de Twizy a été faite ici, chez Renault Sport F1. C’est un croisement direct. »

Pour dessiner ce nouveau moteur V6, est-ce que vous avez pu bénéficier d’études réalisées dans le passé ou avez-vous dû partir d’une feuille blanche ?

« On est parti d’une feuille blanche complète. Par contre, on est parti de notre pré-travail que nous avions effectué sur le quatre cylindres en ligne parce que pour le quatre cylindres en ligne, il a fallu dessiner une chambre de combustion avec de l’injection directe et donc se faire une première expérience. Tout ce qu’on a pu apprendre sur le quatre cylindres, on l’a retranscrit sur le V6 mais la technologie est très différente de celle adoptée à l’époque de l’arrivée de Renault en F1 puisqu’il n’y avait pas l’injection directe à l’époque. »

En terme de répartition de charge de travail entre le V8 de 2013 et le V6 de 2014, comment vous situez vous à l’heure actuelle ?

« Cette année, nous nous situons sur un biseau continu. Bien entendu, il y a déjà une équipe qui travaille déjà exclusivement sur le V6 depuis l’an dernier. Cependant, il y a encore des gens qui travaillent sur le début de la saison, c’est-à-dire la validation de tous les moteurs de début de saison. Progressivement, les gens vont basculer puisque nous aurons de moins en moins d’essais au banc à réaliser sur le V8 et de plus en plus sur le V6. C’est donc une courbe progressive tout au long de l’année. En fin d’année, on sera donc à 100% sur le moteur de 2014 avant de commencer à travailler sur les spécifications de 2015. »

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