Toyota ne veut pas dire "retour en F1" mais...
Cacher ce mot que je ne saurais voir. Dans la foulée de son accord technique avec Haas, Toyota insiste qu'il ne s'agit pas d'un retour formel en Formule 1. Pourtant tout pointe en ce sens.
Akio Toyoda ne pouvait être plus clair lors de la conférence de presse accordée sur son propre circuit de Fuji : "Et pour les médias ! S'il vous plait, assurez vous que les gros titres de demain ne soient pas "Toyota retourne enfin en F1." Je préférerai voir des gros titres et des articles qui inspirent des enfants japonais de rêver de la possibilité qu'ils ont eux aussi la possibilité de conduire un jour les voitures les plus rapides du monde."
Cinq programmes sportifs de part le monde
Mais on ne dirige pas un géant aux 287 milliards d'euros de chiffre d'affaires (seulement) pour faire rêver les enfants. Pour comprendre la décision et la portée de ce qui est décrit comme un simple accord technique avec Haas, il faut s'inscrire dans la perspective des programmes sportifs de Toyota. A l'échelle mondiale, Toyota dispose de cinq engagements significatifs : l'endurance (WEC), le rallye (WRC), le rallye-raid (W2RC), la Super Formula japonaise et la Nascar aux Etats-Unis.
Commençons par les deux dernières catégories. Il s'agit de deux championnats nationaux sur deux de ses principaux marchés et ils vivent largement en autarcie et en toute autonomie. Pour preuve, le programme américain ne court pas sous les couleurs Toyota Gazoo Racing (TGR) mais sous celui de Toyota Racing Development (TRD). Il n'y a donc aucune vocation à faire évoluer ces participations. De même, le W2RC permet de mettre en avant un de ses modèles les plus vendus dans certaines parties du monde, l'Hilux, et porte une image d'aventure et de capacités de franchissement qui ont fait la réputation de la marque.
Arrive donc ensuite le WRC. Sur le papier, la situation est idéale puisque le constructeur japonais a remporté cinq titres Pilotes et trois Constructeurs consécutifs. Une gestion ubuesque des pilotes a aussi conduit à autoriser ses deux derniers champions du monde en titre à réaliser une demi-saison en 2024. Résultat, Sébastien Ogier, qui a pourtant manqué trois épreuves, se retrouve troisième au championnat et devant Elfyn Evans, qui a pourtant couru toute l'année. Mais surtout l'ambition de mettre en avant un pilote japonais ne semble pas porter ses fruits puisque le Finlandais Sami Pajari semble désormais être favorisé par rapport à Takamoto Katsuta, pourtant dans le giron de l'équipe depuis cinq saisons. De plus, le championnat est moribond avec seulement deux constructeurs et demi engagés dans la catégorie-reine et on peut s'interroger sur son avenir.
A l'heure actuelle, le programme-phare de la compétition chez Toyota est le WEC, dans lequel il est engagé depuis sa création en 2012. Après des années de frustration, le Nippon a enfin touché au Graal avec cinq victoires consécutives aux 24 heures du Mans, entre 2019 et 2022. Surtout, il a tenu à bout de bras le championnat lorsque le groupe Volkswagen (Audi et Porsche) ont déserté le navire, sous fond de Dieselgate et ses conséquences financières. C'est pourquoi Akio Toyoda a vécu comme un affront personnel que l'Automobile Club de l'Ouest modifie la Balance des Performances seulement une semaine avant la tenue des 24 heures du Mans en 2023, année du retour de nombreux autres constructeurs dans la catégorie Hypercar. Il avait alors quitté la Sarthe avant même la fin de la course.
Toyota a déjà annoncé qu'il comptait poursuivre son engagement mais en s'orientant vers la technologie hydrogène mais celle-ci semble reculer d'année en année. A l'heure actuelle, elle n'est prévue qu'à l'aune de la saison 2028, une éternité à l'échelle des sports automobiles.
Une histoire compliquée avec la F1
Pour un constructeur à vocation mondiale, la Formule 1 ne peut échapper aux réflexions stratégiques. Présente sur tous les continents hors Afrique, elle connait actuellement une forte croissance de sa popularité et de son audience. Mais pour Akio Toyoda, la relation à la catégorie-reine est bien plus personnelle, comme il le reconnait lui-même : "Je suis celui qui a décidé de quitter la Formule 1. Je pense que les pilotes n'ont jamais été en mesure d'en parler franchement devant moi. C'est comme s'il y avait toujours une atmosphère d'inhibition dans notre garage. En janvier dernier, j'ai pu dire à tout le monde que j'étais enfin redevenu cet homme âgé ordinaire qui aime les voitures. Je pense qu'au fond de son cœur, Akio Toyoda a toujours regretté d'avoir bloqué la possibilité pour les jeunes pilotes japonais de piloter les voitures les plus rapides du monde en se retirant de la Formule 1. Cela étant dit, avec les médias qui suivent mes moindres faits et gestes, j'ose ajouter que je suis toujours convaincu que ma décision en tant que président de Toyota de nous retirer de la Formule 1 n'était pas mauvaise."
Une première esquisse de retour en Formule 1 avait été esquissé l'an passé lorsqu'un accord avec McLaren avait été annoncé pour permettre à un des ses protégés, Ryo Hirakawa, d'intégrer le programme de développements de l'équipe de Woking. Cela fait suite à douze ans de collaboration où McLaren utilisait la soufflerie ultra-moderne de Cologne pour le développement de ses propres F1. Mais depuis, McLaren a préféré prolonger sa relation actuelle avec Mercedes, ce qui a refermé la possibilité d'un retour en tant que motoriste.
Un accord gagnant-gagnant avec Haas
Une fois qu'il était acté que Toyota voulait de nouveau un rôle en F1, restait à trouver la forme et le partenaire adéquat. Recréer une équipe à partir d'une feuille blanche, comme cela avait le cas en 2000, était hors de question. Racheter une équipe était une possibilité mais les candidats étaient peu nombreux. Au fur et à mesure, un partenaire idéal s'est présenté : Haas. A commencer par son nouveau dirigeant depuis cette saison : Ayao Komastu. Sa nationalité japonaise a certainement joué un rôle dans les négociations. Il n'est ainsi pas anodin de noter que l'ensemble de la conférence de presse s'est ainsi déroulée en japonais devant un parterre de reporters nippons et non dans le paddock d'un Grand Prix, en anglais.
Dans le détail, l'un des principaux projets communs entre les deux structures va être de développer un tout nouveau simulateur. Dépourvu de son propre simulateur, Haas était contraint d'utiliser celui de Ferrari, à Maranello. Cela ne manquait pas de créer des difficultés logistiques pour l'équipe détenue par Gene Haas, comme le commente son nouveau directeur d'équipe : "Nous avons accès au simulateur de Ferrari à Maranello et nous l'utilisons un peu. Nous l'utilisons pendant l'hiver mais pendant la saison, ce que nous pouvons faire sur le simulateur de Maranello est limité. Nous avons un nombre limité de personnel sur les circuits. Je ne peux pas demander à mes hommes basés au Royaume-Uni qui vont déjà sur 24 courses de passer 10 jours supplémentaires en Italie. Sa localisation nous a empêché d'en faire plus."
A travers ses différents engagements sportifs, Toyota a le savoir-faire et les ressources humaines et financières pour construire un tout nouveau simulateur chez son nouveau partenaire. Mais pour faire fonctionner un simulateur réaliste, il faut donc maitriser l'ensemble du fonctionnement des composants de ces monoplaces, à commencer par le moteur. Or celui-ci est fourni par Ferrari et Haas entend protéger cette relation, qui est au cœur de son business modèle depuis sa création : "Ce que nous avons avec Ferrari, ce que nous recevons de Ferrari est extraordinaire. C'est le fondement du Haas F1 Team. Mais il y a des domaines où Toyota peut nous aider. Nous avons été transparent avec la direction de Ferrari dès le tout début des discussions. Il y a une claire compréhension de l'engagement que nous avons avec TGR et comment nous allons protéger la propriété intellectuelle des deux entreprises."
Le second élément de collaboration entre les deux structures va être aussi la formation des pilotes et des ingénieurs. Fautes de ressources suffisantes, jusqu'à présent, Haas n'a jamais utilisé le programme dit TPC (Testing Previous Car), qui permet de faire rouler des voitures âgées d'au moins deux ans. Ce programme est utilisé par les écuries de pointe pour former du personnel mais aussi donné du précieux temps de roulage à leurs jeunes pilotes. Or il s'agit d'un élément-clé de la stratégie de Toyota : permettre à un de ses protégés japonais d'accéder à la F1, comme il avait pu le faire avec Kazuki Nakajima ou Kamui Kobayashi à l'époque de son engagement.
L'intérêt de ce programme est qu'il ne rentre pas dans le cadre du contraignant plafond des budgets. Il permet donc de faire monter en compétences ingénieurs et mécaniciens, sans impact sur le programme de course : "Le TPC est très important en termes de formation du personnel. Nous ne sommes que 300 personnes. Nous n'avons pas de doublons. Donc si un ingénieur de course ou de performance décide de partir ou ne peut pas participer à une course, nous avons vraiment du mal. Nous sommes tout le temps à la limite. Pour faire progresser notre organisation, nous ne pouvons pas tout le temps être en mode survie. Nous devons construire notre organisation. A travers le TPC, nous allons pouvoir commencer à former nos ingénieurs et nos mécaniciens et à avoir des plans de rechange."
Ce programme va être très certainement financé directement par Toyota, qui a toujours intégré des ingénieurs de son programme de voiture de tourisme dans ses programmes en compétition. Cela va se traduire par une présence très significative sur les monoplaces de Nico Hülkenberg et Kevin Magnussen dès le week-end prochain à Austin puisque son logo va apparaitre sur l'ensemble de l'aileron arrière ainsi que sur la pointe avant. Toyota devient ainsi le troisième sponsor le plus important de l'équipe, derrière MoneyGram (sponsor-titre) et Haas. De manière incroyable, le nom du constructeur sera ainsi davantage visible en F1 que sur ses propres voitures d'endurance et de rallye !
Installé dans un nouveau partenariat pluri-annuel, Haas va pouvoir donc financer sereinement ses développements. Le grand gagnant de l'opération pourrait donc être Esteban Ocon, qui va arriver en tant que clair leader de l'équipe, aux côtés du débutant Oliver Bearman. Le Français quitte donc une équipe Alpine en pleine déconfiture et rejoint une équipe associée à deux constructeurs !
Quant à Toyota, ils vont pouvoir disposer d'un pied solide en F1. De là, à ce que l'appétit vienne en mangeant et qu'un vrai retour devienne une réalité dans les prochaines années, il n'y a qu'un pas...
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